Ô Vie! aurais-je pu tendre un cœur plus aride
Vers l’amour dont tu fais l’étoile qui nous guide,
Vers l’amour nécessaire aux résurrections?
Derrière moi, pourtant, s’efface ma jeunesse
Et je demande encore à connaître une ivresse
Aux insondables tourbillons.
– Fallait-il assoupir ton âme dans l’orgie,
Au lieu de libérer l’invisible énergie
Que l’homme porte en soi pour gravir les hauteurs?
Tu faisais de l’amour une farce insolente,
Je ne t’en accordai que la part suffisante
À mettre un flambeau dans ton cœur.
– Ô Vie! en moi brûlait l’ambition féconde,
Je me sentais promis à gouverner le monde
Et tu ne m’as donné que moi-même à régir.
J’ai tenté vainement de violer la gloire,
Et mon travail, offert d’un geste péremptoire,
Parvient à peine à me nourrir.
– Juge, par ton passé glorieux, si le faste
À ton avancement n’eut pas été néfaste.
Vois si ton art, du moins, ne t’a pas enchanté
Et si l’échec de tes rêves d’omnipotence
Ne t’a pas enseigné l’âpre persévérance,
La mesure et la volonté.
– Ô Vie! enfin j’avais entendu ta parole,
Je saisissais le but de ta sévère école ;
Peu à peu je voyais poindre un jour éclatant.
Des mystères vaincus traînaient sur la chaussée,
Je touchais au lien qui joint toute pensée,
Trop tard, hélas! la mort m’attend.
– Dans ce monde où l’idée, en souples avenues,
Mène à tous les ronds-points, aux abîmes, aux nues,
Où chacun a pour lui le zénith et le vrai,
Où put naître un Voltaire après sainte Thérèse,
Heureux celui qui meurt pendant qu’une hypothèse
L’éblouit d’un nouvel attrait.