Le temps

Oh! pourquoi de ce Temps, l’étoffe de la vie,
Ne pouvons-nous, dis-moi, jouir à notre envie,
Sans le déchirer par lambeau?
Des trois formes qu’emprunte une essence commune,
Passé, présent, futur, l’homme n’en connaît qu’une
Du sein maternel au tombeau.

Des uns, toute la vie est dans l’instant qui passe ;
Cœurs étroits, où jamais ne saurait trouver place
Ce qui fut, ou n’est pas encore ;
Perdant toute leur pourpre en mesquines parcelles,
Tout leur foyer en étincelles,
En oboles tout leur trésor!

Avides du lointain où leur regard se plonge,
Ceux-ci laissent glisser les heures comme un songe
Qui s’efface du souvenir ;
Leur présent incompris n’est qu’une longue aurore,
Que ne suit pas le jour, que l’attente dévore ;
Ils existent dans l’avenir.

J’en sais d’autres, pour qui les biens perdus renaissent,
Et qui même, entre tous, n’aiment et ne connaissent
Que l’objet qu’ils ont dépassé :
L’avenir les effraie et le présent leur coûte,
Tandis qu’ils poursuivent leur route
Les yeux tournés vers le passé.

Mais n’est-il pas, doués d’existences complètes,
Du monde intérieur quelques rares athlètes,
Au long regard, au vaste cœur,
Qui goûtent en entier la vie à chaque haleine,
Et savourent la coupe pleine
Dans chaque goutte de liqueur?

Pour ceux-là rien ne meurt, ni plaisir, ni souffrance ;
Tout vit, tout est réel, tout, même l’espérance!
Ainsi, sous une habile main,
La trinité du son vibre mystérieuse,
Ainsi dans Aujourd’hui leur âme harmonieuse
Sent vibrer Hier et Demain.


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Verset Le temps - Amable Tastu