Amours d’oiseaux

À Philippe Gille.

I.

Deux ramiers voyageurs, emperlés de rosée,
Ont abattu leur vol au bord de ma croisée
Ouverte à l’orient… Je les ai reconnus,
Car chez moi, l’an passé, tous deux étaient venus.

Ces deux beaux pèlerins m’arrivent de Bohême,
À l’époque où fleurit le petit maïanthème,
Et dans les bras noueux de mon grand châtaignier
Bercent leur nid d’amour comme au printemps dernier.

Dans leur farouche instinct de liberté sauvage,
Trop fiers pour jamais vivre en honteux esclavage,
Ils reviennent pourtant sous mon toit familier,
La queue en éventail et gonflant leur collier.

S’ils ont pris le chemin de ma haute fenêtre,
C’est qu’un coup d’œil d’oiseau suffit pour me connaître,
C’est qu’ils sont là chez eux, que tout leur est permis ;
C’est qu’ils n’ont trouvé là que des regards amis.

L’amoureux au col blanc profondément salue
L’heureuse bien-aimée, avec grâce évolue
Et, roucoulant près d’elle, en fait dix fois le tour,
Comme la croyant sourde à ses phrases d’amour.

Riche de souvenirs, le cœur chaud d’espérances,
Multipliant très bas ses graves révérences,
S’il la voit, comme en rêve, ouvrant des yeux troublés,
Dans un rapide éclair tous ses vœux sont comblés.

II.

Ne s’inquiétant pas de moi, qui les regarde,
Ils m’ont dit sans parler :  » Ami, que Dieu te garde,
Après ton âge mûr, de vivre trop longtemps.
Nous restons dans nos bois au plus quinze ou vingt ans ;

 » Quand nous cessons d’aimer, à quoi bon nous survivre?
N’attends pas la saison des vents froids et du givre
Pour t’en aller dormir sous les hauts gazons verts,
Car plus tard, sans amour, tristes sont les hivers.


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Verset Amours d’oiseaux - André Lemoyne