L’échelle de soie

Chanson.

On entend au loin la chanson des merles ;
Ô ménétrier! prends ton violon.
Les gais rossignols égrènent des perles ;
Quel beau soir! Dansez, filles d’Avallon!

Vers ce vieux château dont la tour hautaine
Profile son ombre au fond du ravin,
Voyez-vous courir ce beau capitaine?
Celle qui l’attend attend-elle en vain?

L’étoile scintille à travers la nue ;
L’amant vient d’entrer, tirons les verrous :
Chut! car le mari, seul dans l’avenue,
Tient bien son épée et parle aux hiboux.

On entend au loin la chanson des merles ;
Ô ménétrier! prends ton violon.
Les gais rossignols égrènent des perles ;
Quel beau soir! Dansez, filles d’Avallon!

Les cheveux épars, la blanche amoureuse,
Comme Juliette à son Roméo,
Dit à son amant : Que je suis heureuse!
Ah! chantons toujours le divin duo!

Jamais deux amants, sous le ciel avare,
N’ont ainsi nagé dans l’enivrement ;
Mais l’heure a sonné, l’heure qui sépare :
Adieu, ma maîtresse! Adieu, mon amant!

On entend au loin la chanson des merles ;
Ô ménétrier! prends ton violon.
Les gais rossignols égrènent des perles ;
Quel beau soir! Dansez, filles d’Avallon!

Mais sous le balcon d’où la noble dame
Dit encore adieu les yeux tout en pleurs,
On a vu soudain briller une lame,
Et le sang jaillir sur les blanches fleurs.

La dame, éperdue, à l’horreur en proie,
Se jette à genoux pour prier l’Amour.
Elle avait laissé l’échelle de soie :
Voilà le mari qui monte à son tour.

On entend au loin la chanson des merles ;
Ô ménétrier! prends ton violon.
Les gais rossignols égrènent des perles ;
Quel beau soir! Dansez, filles d’Avallon!

– Madame, c’est moi ; voyez mon épée ;
Ne devais-je pas laver mon affront?
Voyez : dans son sang je l’ai bien trempée. –
Il dit, et lui jette une goutte au front.

Madame, vivez ; mais que votre bouche
Baise cette épée : elle me vengea.
– Vivre ainsi? jamais! Ah! votre œil farouche
Ne me fait pas peur, car je meurs déjà.

On entend au loin la chanson des merles ;
Ô ménétrier! prends ton violon.
Les gais rossignols égrènent des perles ;
Quel beau soir! Dansez, filles d’Avallon!

De la main sanglante elle prend la lame,
La porte à sa bouche et baise le sang.
Horrible spectacle à nous glacer l’âme,
Sombre tragédie, acte saisissant!

Soudain la voilà qui, dans la croisée,
Se frappe trois coups : c’est le dénouement.
Et son sang jaillit, brûlante rosée,
Sur le front glacé de son pâle amant.

On entend au loin la chanson des merles ;
Ô ménétrier! prends ton violon.
Les gais rossignols égrènent des perles ;
Quel beau soir! Dansez, filles d’Avallon!


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Verset L’échelle de soie - Arsène Houssaye