Pour Alcandre, au retour d’Oranthe à Fontainebleau.
1609.
Revenez, mes plaisirs, ma dame est revenue ;
Et les vœux que j’ai faits pour revoir ses beaux yeux.
Rendant par mes soupirs ma douleur reconnue,
Ont eu grâce des cieux.
Les voici de retour ces astres adorables
Où prend mon océan son flux et son reflux ;
Soucis, retirez-vous ; cherchez les misérables ;
Je ne vous connais plus.
Peut-on voir ce miracle où le soin de nature
A semé comme fleurs tant d’aimables appas,
Et ne confesser point qu’il n’est pire aventure
Que de ne la voir pas?
Certes l’autre soleil d’une erreur vagabonde
Court inutilement par ses douze maisons ;
C’est elle, et non pas lui, qui fait sentir au monde
Le change des saisons.
Avecque sa beauté toutes beautés arrivent ;
Ces déserts sont jardins de l’un à l’autre bout ;
Tant l’extrême pouvoir des grâces qui la suivent
Les pénètre partout.
Ces bois en ont repris leur verdure nouvelle ;
L’orage en est cessé, l’air en est éclairci ;
Et même ces canaux ont leur course plus belle,
Depuis qu’elle est ici.
De moi, que les respects obligent au silence,
J’ai beau me contrefaire et beau dissimuler ;
Les douceurs où je nage ont une violence
Qui ne se peut celer.
Mais, ô rigueur du sort! tandis que je m’arrête
A chatouiller mon âme en ce contentement,
Je ne m’aperçois pas que le destin m’apprête
Un autre partement.
Arrière ces pensers que la crainte m’envoie ;
Je ne sais que trop bien l’inconstance du sort :
Mais de m’ôter le goût d’une si chère joie,
C’est me donner la mort.