Exil

J’ai besoin de silence… oh! ne me parlez pas!
J’écoute au fond de moi le murmure d’un rêve,
Et j’entrevois au loin, sous les vapeurs, là-bas,
La Provence éclatante et chaude qui s’élève!

Un souffle amer, pesant, me traverse le cœur…
Est-ce toi, folle brise ou mistral des collines?
Est-ce vous dont le vol a pris tant de lenteur,
Parce qu’il s’est chargé des essences marines?

Souffle étrange! parfum qui trouble! souvenir!
Toujours et malgré tout tu pénètres mon âme,
Et tu me fais chanter, et tu me fais souffrir,
Souvenir! nom cruel, doux comme un nom de femme!

J’ai tout quitté! ma sœur, mes flots et mon soleil!
J’ai quitté la nature ardente de Provence,
Quitté mon fier pays ignorant du sommeil,
Qui moissonne sans trêve et sans trêve ensemence!

Tu ne me tendras plus, ma sœur, tes douces mains ;
Je suis seul maintenant! je vais tête baissée,
Et je saigne de voir le peuple des humains
Oublier les hauteurs calmes de la Pensée.

C’est fini. Je suis là, morne. J’ai tout quitté!
J’ai fui! Je suis parti sans regarder derrière!…
Elle n’est plus à moi, la bleue immensité
Tressaillant de bonheur, d’amour et de lumière!

Je ne vais plus, le front tout pensif, dans les bois,
Respirer le printemps amoureux et sauvage!
Je ne suis plus l’amant si joyeux autrefois
Des vagues aux yeux bleus qui chantent sur la plage!

Ah! que je vous aimais, magnifiques sommets!
Pins et chênes mouvants, collines virginales,
Cimes de la Provence, ah! que je vous aimais!
Vous qui montez au ciel mieux que les cathédrales!

Pics de Coudon, Faron, grands rêveurs soucieux,
Comme vous tentez bien l’escalade suprême!
Comme vous heurtez bien votre colère aux cieux!
Révoltés au cœur chaste et ferme, vous que j’aime!

Ô Provence, aujourd’hui je parle et chante ainsi!
Et, lorsque je t’avais, c’étaient d’autres contrées
Que mon âme en pleurant se rappelait aussi,
Et qu’aussi je nommais sublimes et sacrées!

Oui, par-delà les monts et par-dessus l’azur,
Plus loin que le nuage et plus haut que les astres,
Je sais confusément un pays jeune et pur,
Un pays affranchi du mal et des désastres!

Là, l’Amour fraternel est de tous bien connu!
Là, tout arbre a des fruits et chaque enfant sa mère ;
On ne voit pas un homme errant, débile et nu,
Manger le froment dur de la pâle misère!

C’est le pays où luit la bonne Volonté!…
Ah! mon cœur de vingt ans, comme vous battez vite
Au nom de la patrie et de la vérité!…
Tel, au bord de son nid, l’aiglon tremble et palpite!

Eh bien! un peu de temps, un peu de temps encor,
Ô splendide pays des âmes immortelles,
Et je pourrai vers toi prendre enfin mon essor,
Quand la mâle Vertu m’aura donné des ailes!


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Verset Exil - Jean Aicard