Le calvaire

Puisque tu vas, Angélique,
Au calvaire des Roseaux,
Rapporte-moi, pour relique,
Une froide fleur des eaux.
On ne dort pas sous la haire ;
La nuit on m’entend gémir ;
Et les fleurs du vieux Calvaire,
On me l’a dit, font dormir.

Pauvre Angélique, à ton âge,
Quand on part seule, et nu-pied,
Pour un long pèlerinage,
N’y va-t-on que par pitié?…
Sur la sauvage bruyère,
Colombe, qui va gémir,
Offre à Dieu quelque prière
Pour que je puisse dormir.

Mais quel philtre, quel breuvage
Endort, au feu des éclairs,
Le ramier dans l’esclavage,
Quand l’été brûle les airs?
Daigne la foudre descendre
Sur l’oiseau né pour gémir ;
Car peut-être sous la cendre
On le laissera dormir!

Ah! si j’osais, ma compagne,
Me dérober sur tes pas,
Dans l’air vif de la montagne,
J’oublierais… parlons plus bas!
Ici, l’on meurt de ses peines,
Mais il n’en faut pas gémir.
Enfant, tu n’as pas de chaînes ;
Tu fuis… mais tu peux dormir!

Crois-tu qu’un grand sacrifice
Puisse être agréable à Dieu?
Eh bien! qu’il me soit propice,
Je le joins à notre adieu.
Porte au Calvaire une image
Dont chaque trait fait gémir ;
Car c’est elle, quel dommage!
Qui m’empêche de dormir!

Tu jetteras dans l’eau sainte
Ce nœud défait, cette fleur,
Et cet anneau d’hyacinthe
Que je cachais sur mon cœur.
Va-t’en! je n’ai plus à rendre
Qu’une âme ardente à souffrir ;
Béni soit qui doit t’apprendre
Que Dieu daigna l’endormir!


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Verset Le calvaire - Marceline Desbordes-Valmore