Le prisonnier de guerre

Tu t’en vas? Reste encore :
Je te perds pour longtemps!
Et tu vois que l’aurore
Luit depuis peu d’instants.
Tantôt sur le rivage
Je marcherai sans toi :
J’y reste en esclavage,
Pauvre de moi!

Nous avons vu la vie
Sous les mêmes couleurs ;
Elle a pu faire envie,
Car elle eut bien des fleurs.
La guerre était la gloire,
J’y courus avec toi :
J’ai payé la victoire,
Pauvre de moi!

Sur combien de blessures
A-t-on rivé nos fers!
Ils en font de plus sûres,
Dans leurs prisons d’enfers.
J’ai raillé ma souffrance,
Enchaîné près de toi ;
Mais tu pars pour la France,
Pauvre de moi!

Ma plaie envenimée
Arrête ici mes pas ;
Mortelle et renfermée,
Elle s’aigrit tout bas.
Sur un ponton de guerre
Faut-il languir sans toi?
Je te suivais naguère,
Pauvre de moi!

Si ma blonde Angeline,
En te voyant passer,
Inquiète s’incline,
Timide à t’embrasser ;
A cet auge modeste,
Qui m’attend avec toi,
Ne dis pas où je reste,
Pauvre de moi!

Au foyer de ton père
Si le mien va s’asseoir,
Mon nom sera, j’espère,
Dans vos récits du soir,
Quand ses yeux pleins de larmes
S’attacheront sur toi,
Fais-lui bénir nos armes,
Pauvre de moi!


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Verset Le prisonnier de guerre - Marceline Desbordes-Valmore