Bon frère et bon fils

Le notaire dit :  » Jean! il s’agit d’un partage.
Votre frère, passé pour mort,
Authentiquement vit encor.
Vous êtes maintenant deux pour votre héritage.

– Ça s’rait-il Dieu possibl’ ? ah ben! grommelle Jean,
Faut partager l’bien et l’argent?
Moi qui croyais mon frèr’ si poussièr’ dans sa fosse!
Mais p’êt’ ben q’la nouvelle est fausse?…

– Vous auriez tort d’émettre un doute,
Ricane le tabellion. « 

– D’m’êt’ cru seul héritier? maintenant c’que ça m’en coûte!
On l’disait mort défunt : j’ai pas eu d’ réflexion,
Et, d’ordinair’, c’est pas c’qui m’ manque.
Si j’avais pu m’méfier, d’un’ ressuscitation,
Mon pèr’ m’eût fait d’la main à la main donation
D’ses écus et d’ses billets d’banque ;
Pas seul’ment ça, ben encor mieux!
Comme à volonté je m’nais l’vieux,
Terr’ et prés j’y faisais tout vendre,
Et, faisant argent d’tout, ainsi j’pouvais tout prendre!
C’est fort tout d’mêm’ ! mon frèr’, rien q’pour m’embarrasser,
Qui s’avis’ ben d’ détrépasser!
C’lui q’était notaire avant vous
Il disait :  » Faut s’fier à personne :
Les morts vous tromp’ comme les fous.  »
Enfin, j’peux pas dir’ que j’m’en fous,
Mais, ça yest… Faut que j’me raisonne!
Pourtant, puisque mon frère est un ch’ti mort qui r’vient
Pour partager c’qui m’appartient,
Alors, i’m’compens’ra, j’espère,
Moitié de c’qu’a coûté mon père
Pour sa bière et son enterr’ment.  »
Et puis, tout bonhomiquement,
Il ajoute :  » Mon Dieu, six francs? c’est pas un’ somme!
J’y pay’rai ben tout seul ses quat’ planch’ à c’brave homme. « 


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Verset Bon frère et bon fils - Maurice Rollinat