Nostalgie

Oh! lorsque incessamment tant de caprices noirs
S’impriment à la rame,
Et que notre Thalie accouche tous les soirs
D’un nouveau mélodrame ;

Que les analyseurs sur leurs gros feuilletons
Jettent leur sel attique,
Et, tout en disséquant, chantent sur tous les tons
Les devoirs du critique ;

Que dans un bouge affreux des orateurs blafards
Dissertent sur les nègres,
Que l’actrice en haillons étale tous ses fards
Sur ses ossements maigres ;

Qu’au bout d’un pont très lourd trois cents provinciaux
Tout altérés de lucre,
Discutent gravement en des termes si hauts
Sur l’avenir du sucre ;

Que de piètres Phœbus au regard indigo
Flattent leur Muse vile,
Encensent d’Ennery, jugent Victor Hugo,
Et font du vaudeville ;

Lorsque de vieux rimeurs fatiguent l’aquilon
De strophes chevillées,
Que sans nulle vergogne on expose au Salon
Des femmes habillées ;

Que chez nos miss Lilas, entre deux verres d’eau,
Un grand renom se forge,
Que nos beautés du jour, reines par Cupido,
N’ont pas même de gorge ;

Qu’entre des arbres peints, à ce vieil Opéra
Dont on dit tant de choses,
Les fruits du cotonnier qu’un lord Anglais paiera
Dansent en maillots roses ;

Que ne puis-je, ô Paris, vieille ville aux abois,
Te fuir d’un pas agile,
Et me mêler là-bas, sous l’ombrage des bois,
Aux bergers de Virgile!

Voir les chevreaux lascifs errer près d’un ravin
Ou parcourir la plaine,
Et, comme Mnasylus, rencontrer, pris de vin,
Le bon homme Silène ;

Près des saules courbés poursuivre Amaryllis
Au jeune sein d’albâtre,
Voir les nymphes emplir leurs corbeilles de lys
Pour Alexis le pâtre ;

Dans les gazons fleuris, au murmure de l’eau,
Dépenser mes journées
À dire quelques chants aux filles d’Apollo
En strophes alternées ;

Pleurer Daphnis ravi par un cruel destin,
Et, fuyant nos martyres,
Mieux qu’Alphesibœus en dansant au festin
Imiter les Satyres!


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Verset Nostalgie - Théodore de Banville