À Joseph Bertrand.
Quand un ardent soleil s’éleva de la plaine,
Tous les glorieux morts n’étaient pas enterrés :
Habits galonnés d’or et capotes de laine
S’étalaient par lambeaux richement éclairés.
Plus rien ne remuait dans la chaude lumière.
Pas un tressaillement aux baisers du soleil.
L’œil ouvert, mais éteint, ou fermant la paupière,
Tous étaient endormis de leur dernier sommeil.
Petits blonds de vingt ans, vieux à moustache grise,
Conscrits et généraux, pêle-mêle étendus,
Sur le champ mortuaire où chacun fraternise,
Côte à côte gisaient dans les rangs confondus.
Héroïques d’entrain et de sauvagerie,
La veille, triomphants ou vaincus tour à tour,
Ils s’étaient bien rués à la grande tuerie
Dans le rude combat qui dura tout un jour.
Jamais le pur soleil, naissant au pied des ormes,
Ne vit pareil désastre entre deux camps rivaux,
Tant d’arbres abattus sur les débris informes,
Dans cet écrasement d’hommes et de chevaux.
Les vaillants avaient-ils déployé leurs bannières
Pour l’intérêt d’un peuple ou la cause d’un roi,
Pour un humble ruisseau limitant les frontières?
Les chroniqueurs du temps n’ont jamais dit pourquoi.
Et Jeanne d’Arc, la bonne et pieuse Lorraine,
Qui, sur un cheval blanc, lancée à corps perdu,
De la Patrie en deuil jadis fut la marraine,
Eût pris en grand’pitié tout le sang répandu.