À madame Ernest Courbet.
LE PAPILLON.
Où t’endors-tu, le soir, pauvre petite abeille,
Butineuse des fleurs, qui t’en vas picorant
Dès la pointe du jour, quand l’aube se réveille,
Jusqu’au dernier rayon du soleil expirant?
L’ABEILLE.
Sans trop hâter mon vol, c’est à moins d’un quart d’heure
Dans le creux d’un vieux chêne, à ma ruche des bois,
Juste au pied du grand arbre où, tous les ans, demeure
Un couple de ramiers dans son nid d’autrefois.
LE PAPILLON.
Pour tes gâteaux de miel rapidement tu voles…
Je te vois disparaître au bord des grands lys blancs,
Roulée à corps perdu dans le fond des corolles
Qui doivent t’enivrer de leurs parfums troublants ;
Mais j’admire toujours l’active travailleuse,
Dont le travail est pur, dont le travail est saint,
Faite pour accomplir sa tâche merveilleuse,
Dont s’honore à bon droit la reine de l’essaim.
L’ABEILLE.
Toi qui pars en zigzag comme un éclat de foudre,
Pourquoi donc ce caprice?
LE PAPILLON.
Afin que dans son vol
Un bec d’oiseau jaseur ne puisse nous découdre.
Je ris d’un martinet passant au ras du sol.
Que faites – vous l’hiver?
L’ABEILLE.
En grappes léthargiques,
Sans oreilles, sans yeux, sans entendre, sans voir,
Longuement nous rêvons de belles fleurs magiques
Dans la ruche bien close où dès lors tout est noir.
LE PAPILLON.
Nous, dans la saison froide et sombre de l’année,
Nous n’aimons pas à voir nos grands lys se flétrir ;
Notre vie est bien courte, hélas! mais fortunée.
Quand sont mortes les fleurs, nous préférons mourir.