Ma demeure est bâtie au bord de la mer grise ;
Les grèbes, les pétrels et les blanches mouettes
Entrecoupent leurs vols parmi ses girouettes
Dont les flèches de fer criaillent dans la bise ;
Du côté de la mer, le lichen la recouvre ;
Un lierre la revêt du côté de la terre ;
De ma porte je vois la lande âpre et sévère ;
Mais c’est sur les grands flots que ma fenêtre s’ouvre.
Si parfois je regarde, un bref instant, l’espace
Parsemé de dolmens, dominé de calvaires,
Où, parmi les genêts sans fin et les bruyères,
Çà et là un bosquet de chênes se ramasse ;
Si j’écoute, un instant, le son faible des cloches
Arriver jusqu’à moi d’un village invisible,
Aux jours de brume douce où la mer plus paisible
A suspendu son bruit farouche entre les roches ;
Je passe de longs jours et les nuits presque entières,
Appuyée au balcon d’où j’aperçois la houle,
Dont l’ondulation sans repos se déroule,
Sous des nuages lourds ou des clartés légères.
Je vois l’âpre combat des vents contre les lames,
Les vagues se dresser, se courber et reluire,
Les courants d’un vert pâle où de l’argent s’étire,
Et des flots gris jouant avec des flots de flammes ;
J’écoute une musique incessante et profonde,
Les lents soupirs traînant et mourant sur la grève,
Le courroux que le choc des falaises soulève,
Et l’émoi dont la mer enveloppe le monde.
Et surtout je regarde, à l’horizon, les voiles
Qui passent en rayant le ciel de leurs cordages,
Ô voiles, rentrez-vous de vos lointains voyages?
Cinglez-vous vers des cieux semés d’autres étoiles?
Et, toujours appuyée au balcon solitaire,
Mon cœur vit dans la brume où l’horizon expire,
Car celui que j’attends partit sur un navire,
Et ne reviendra pas du côté de la terre.