On me voit, courant les pieds nus,
Rire avec les premiers venus ;
D’autres fois en mules de soie
Aux palais j’apporte la joie ;
Car du même pas empressé
Je visite hôtel et chaumière ;
Je suis la muse Chansonnière
Au jupon un peu retroussé.
Je ne porte point le peplum
Et ne connais pour labarum
Que l’écharpe que je déplie
Sur les grelots de la folie.
Satyrique avec les heureux,
Je me fais modeste et gentille,
Et surtout toujours bonne fille,
Avec les couples amoureux.
Je dois, en fille de Bacchus,
Préférer le vin aux écus ;
Mais je rougis du vieux Silène
Lorsqu’il s’enivre à perdre haleine.
J’aime toujours aux gais repas
Que l’esprit gaulois étincelle,
Et je veux qu’Hébé, toujours belle,
Ne montre qu’un peu ses appas.
Pour être propice aux amants,
J’aide à leurs doux épanchements,
Et quand je tiens en main ma lyre,
C’est le bonheur, c’est un délire ;
Mais s’il arrive un mauvais cas,
Si la vertu chancelle et glisse,
Là je ne suis jamais complice,
Car je fuis lorsqu’on parle bas.
Je trône ‘au milieu de Paris ;
La gloire, les jeux et les ris,
La vieille sagesse endormie
Composent mon académie.
L’atticisme et le goût nouveau
Sont la règle de tous mes rites,
Et j’ai des bardes émérites
Parmi les membres du Caveau.
Par strophes, tercets ou quatrains
J’inspire les joyeux refrains ;
A ma voix la foule accourue,
Aime à me suivre dans la rue.
Tout écho répond à mon luth,
Quoique je sois un peu païenne,
Et la grande âme plébéienne
Avec moi risque son salut.
Si je vois un peuple en danger,
Avec lui, contre l’étranger,
Héroïne ardente, enflammée,
Je vaux souvent toute une armée ;
Et lorsque l’on marche au combat
Aux accents de la Marseillaise,
On dirait qu’en une fournaise
J’ai trempé l’âme du soldat.
Si je vous raille, ô souverains!
Passez-moi mes petits refrains ;
Point de gardes prétoriennes
Pour mes chansons voltairiennes,
Car nul régicide ici-bas
Je ne connais et je ne hante ;
Avec moi toujours la voix chante
Et l’esprit ne conspire pas.