L’épreuve du talent

Oui, l’Art est grand! Ses bois sacrés
Te sont ouverts ; courage, adepte!
Comme néophyte il t’accepte,
Tu peux franchir tous ses degrés.
Sa grandeur n’est point dans la pompe ;
Il ennoblit chêne et fétu,
Et sourit au turlututu
Comme au large accent de la trompe.

Mais sois prudent, crainte d’affront ;
Pèse ta force ; l’âme éprise
Sur ses dons fait parfois méprise :
Jeune homme, as-tu l’étoile au front?
Pour un pinceau se tient l’estompe ;
Tout dard, hélas! se croit pointu ;
Et souvent le turlututu,
S’estime être une jeune trompe.

Sois constant, si tu te sens fort ;
Travaille! dans l’art, rien sans peine!
Mais ta peine peut être vaine,
Le talent n’est point dans l’effort.
Courbe ton arc, mais sans qu’il rompe ;
Ne confonds pas fort et têtu ;
En s’obstinant, turlututu
Ne prends pas la voix de la trompe.

Oui, l’Art est grand, oui, l’Art est beau,
Mais réclame un prêtre robuste :
Pour le fort, c’est un temple auguste ;
Pour l’impuissant, c’est un tombeau!
L’Art, sévère pour qui se trompe,
Dit : Que peux-tu? Non : Que veux-tu?
Souffle dans un turlututu
Si tu ne peux remplir la trompe.


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Verset L’épreuve du talent - Henri-Frédéric Amiel