Dieu pleure avec les innocents

Il fallait la laisser, solitaire et pieuse,
S’abreuver de prière et d’indigentes fleurs :
Si peu lui semblait tout ; misère harmonieuse,
Sédentaire à l’église et bornée à ses pleurs.

Il fallait la laisser au long travail penchée,
Du rideau d’un vieux mur bornant son horizon :
Le ciel la regardait sous ses cheveux penchée,
Et quelque doux cantique apaisait sa raison.

Ce qu’elle avait perdu, qui pouvait le lui rendre?
Aux enfants orphelins on ne rend pas les morts ;
Mais seule, jour par jour, elle venait d’apprendre
Qu’un goût divin se mêle aux douleurs sans remords.

Il fallait lui laisser Dieu pleurant avec elle ;
N’en doutez pas,  » Dieu pleurt avec les innocents.  »
Et vous l’avez volée à cet ami fidèle,
Et vous avez versé la terre sur ses sens.

Vous avez dévasté la belle âme ingénue ;
Elle sait aujourd’hui la chute de l’orgueil.
Dieu vous demandera ce qu’elle est devenue :
Pour un ange tombé tout le ciel est en deuil.

Ah! Pour l’avoir tuée en mourrez-vous moins vite?
Le tombeau, qui prend tout, vous fait-il moins d’effroi?
Il prend tout! Comme une ombre affligée ou maudite,
Vous quitterez la terre, en fussiez-vous le roi.

Cherchez : elle est peut-être un peu vivante encore ;
Épousez dans la mort son amer abandon,
Sanctifiez à deux votre nom qu’elle adore,
Et montez l’un par l’autre au céleste pardon!


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Verset Dieu pleure avec les innocents - Marceline Desbordes-Valmore