À Albert Mérat.
J’ai peur d’avril, peur de l’émoi
Qu’éveille sa douceur touchante ;
Vous qu’elle a troublés comme moi,
C’est pour vous seuls que je la chante.
En décembre, quand l’air est froid,
Le temps brumeux, le jour livide,
Le cœur, moins tendre et plus étroit,
Semble mieux supporter son vide.
Rien de joyeux dans la saison
Ne lui fait sentir qu’il est triste ;
Rien en haut, rien à l’horizon
Ne révèle qu’un ciel existe.
Mais, dès que l’azur se fait voir,
Le cœur s’élargit et se creuse,
Et s’ouvre pour le recevoir
Dans sa profondeur douloureuse ;
Et ce bleu qui lui rit de loin,
L’attirant sans jamais descendre,
Lui donne l’infini besoin
D’un essor impossible à prendre.
Le bonheur candide et serein
Qui s’exhale de toutes choses,
L’oppresse, et son premier chagrin
Rajeunit à l’odeur des roses.
Il sent, dans un réveil confus,
Les anciennes ardeurs revivre,
Et les mêmes anciens refus
Le repousser dès qu’il s’y livre.
J’ai peur d’avril, peur de l’émoi
Qu’éveille sa douceur touchante ;
Vous qu’elle a troublés comme moi,
C’est pour vous seuls que je la chante.