Le convoi du pauvre

Paris, le 30 avril 1873,
Rue Notre Dame-de Lorette.

Ça monte et c’est lourd – Allons, Hue!
– Frères de renfort, votre main?…
C’est trop!… et je fais le gamin ;
C’est mon Calvaire cette rue!

Depuis Notre-Dame-Lorette…
– Allons! la Cayenne est au bout,
Frère! du cœur! encor un coup!…
– Mais mon âme est dans la charrette :

Corbillard dur à fendre l’âme.
Vers en bas l’attire un aimant ;
Et du piteux enterrement
Rit la Lorette notre dame…

C’est bien ça – Splendeur et misère! –
Sous le voile en trous a brillé
Un bout du tréteau funéraire ;
Cadre d’or riche… et pas payé.

La pente est âpre, tout de même,
Et les stations sont des fours,
Au tableau remontant le cours
De l’Élysée à la Bohème…

– Oui, camarade, il faut qu’on sue
Après son harnais et son art!…
Après les ailes : le brancard!
Vivre notre métier – ça tue…

Tués l’idéal et le râble!
Hue!… Et le cœur dans le talon!
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
– Salut au convoi misérable
Du peintre écrémé du Salon!

– Parmi les martyrs ça te range ;
C’est prononcé comme l’arrêt
De Rafaël, peintre au nom d’ange,
Par le Peintre au nom de… courbet!


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Verset Le convoi du pauvre - Tristan Corbière