– Qu’es-tu, passant? Le bois est sombre,
Les corbeaux volent en grand nombre,
Il va pleuvoir.
– Je suis celui qui va dans l’ombre,
Le Chasseur Noir!
Les feuilles des bois, du vent remuées,
Sifflent… on dirait
Qu’un sabbat nocturne emplit de huées
Toute la forêt ;
Dans une clairière au sein des nuées
La lune apparaît.
– Chasse le daim, chasse la biche,
Cours dans les bois, cours dans la friche,
Voici le soir.
Chasse le czar, chasse l’Autriche,
Ô Chasseur Noir!
Les feuilles des bois –
Souffle en ton cor, boucle ta guêtre,
Chasse les cerfs qui viennent paître
Près du manoir.
Chasse le roi, chasse le prêtre,
Ô Chasseur Noir!
Les feuilles des bois –
Il tonne, il pleut, c’est le déluge.
Le renard fuit, pas de refuge
Et pas d’espoir!
Chasse l’espion, chasse le juge,
Ô Chasseur Noir!
Les feuilles des bois –
Tous les démons de saint-Antoine
Bondissent dans la folle avoine
Sans t’émouvoir ;
Chasse l’abbé, chasse le moine,
Ô Chasseur Noir!
Les feuilles des bois –
Chasse les ours! ta meute jappe.
Que pas un sanglier n’échappe!
Fais ton devoir!
Chasse César, chasse le pape,
Ô Chasseur Noir!
Les feuilles des bois –
Le loup de ton sentier s’écarte.
Que ta meute à sa suite parte!
Cours! fais-le choir!
Chasse le brigand Bonaparte,
Ô Chasseur Noir!
Les feuilles des bois, du vent remuées,
Tombent… on dirait
Que le sabbat sombre aux rauques huées
À fui la forêt ;
Le clair chant du coq perce les nuées ;
Ciel! l’aube apparaît!
Tout reprend sa forme première.
Tu redeviens la France altière
Si belle à voir,
L’ange blanc vêtu de lumière,
Ô Chasseur Noir!
Les feuilles des bois, du vent remuées,
Tombent… on dirait
Que le sabbat sombre aux rauques huées
À fui la forêt ;
Le clair chant du coq perce les nuées,
Ciel! l’aube apparaît!
Jersey, le 22 octobre 1852.