LA CIGALE ET LA FOURMI
SUR UN TABLEAU DE H. BACON.
À Félix Jeantet.
Au mois d’août, vers la fin d’une claire vesprée,
L’ombre des grands ormeaux s’allonge dans la prée,
Et le dernier adieu des chauds soleils couchants
D’une lueur de pourpre enveloppe les champs.
On a fait la moisson. – Les gerbes amassées,
Attendant les charrois, sont par ordre entassées…
Là, tombant de fatigue au pied des gerbes d’or,
Lasse d’un long voyage, une femme s’endort ;
Une femme étrangère au pays, mal nippée,
Le corsage entr’ouvert et la jupe fripée,
Qui sans doute a roulé par de nombreux chemins
Où la ronce et l’épine ont déchiré ses mains :
Tout l’aspect d’un faux luxe et d’une aventurière,
Joueuse de guitare errant dans la poussière,
Portant son mince avoir hâtivement noué
Dans un foulard déteint que l’usure a troué.
La maîtresse du champ, la petite fermière,
Revenant au logis, l’aperçoit la première,
S’arrête entre deux seaux d’un bon lait écumant
Et fixe la dormeuse avec étonnement.
Elle est de fins sabots coquettement chaussée,
Sa blonde chevelure en chignon retroussée.
La chemise, la robe et jusqu’au tablier,
Sont d’un style rural, honnête et régulier.
» J’espère, a-t-elle dit, que cette créature
S’en ira loin d’ici pour quêter sa pâture,
Sans boire de mon lait ou manger de mon fruit,
Et doit trouver ailleurs un gîte pour la nuit. «