À Henri Boutet.
Deux grands bœufs vendéens à robe jaune pâle,
Traînant un lourd charroi d’arbres mal équarris,
Que mène un fier garçon tout bronzé par le haie
Et les soleils marins, sont entrés dans Paris.
Ces deux bons ruminants, si loin de leurs charrues,
Venus de Sainte-Hermine et La Roche-sur-Yon,
S’en vont d’un pas égal au travers de nos rues,
Et marchent aussi droit qu’en traçant leur sillon.
Curieux de les voir, les passants font la haie
Et, comme émerveillés, se pressent autour d’eux,
Aussi lents qu’au labour dans leur châtaigneraie,
Et sous le joug de hêtre impassibles tous deux.
En traversant au pas notre ville embrumée,
Ces rudes compagnons attachés au devoir,
Dans l’éternel enfer de bruit et de fumée,
Poursuivent leur chemin sans rien apercevoir.
Les voyageurs comme eux deviennent assez rares,
Aux routes de Poitiers, de Tours et d’Orléans,
Venant a pied fourchu sans entrer dans les gares,
Comme aux temps primitifs des vieux rois fainéants.
En les voyant passer, tout rêveur, je m’arrête
Et suis longtemps des yeux ces graves pèlerins,
Qui vont d’un bel accord sans détourner la tète,
Frères bien encornés, forts et souples des reins.
Et, rentré sous mon toit pour la nuit, dans un songe,
Je les revois tous deux encor longtemps après ;
Le mirage des bons ruminants se prolonge
Avec la vision de nos grandes forêts.
Je pense à Théocrite et reviens à Virgile,
Qui pour d’heureux bergers chantaient sous un ciel bleu :
J’y retrouve un lointain souvenir d’Evangile
En rêvant à la crèche où naquit l’Enfant-Dieu.