Quand l’aube vient toucher mon chevet solitaire,
Mon œil, sans soulever sa pesante paupière,
Sent vaguement le jour poindre sur l’horizon,
Et la nuit, en fuyant, emporte sur son aile
Les songes sur mon front descendus avec elle
De leur magique région.
Ainsi quand la jeunesse est venue à mon âme
Révéler ses pensers et sa langue de flamme,
Vers un nouveau rivage emporté sans effort,
Dans mon cœur, tout-à-coup, j’ai senti que l’enfance,
Avec le doux parfum de sa chaste ignorance,
Était restée à l’autre bord.
Adieu donc, mon enfance insouciante et belle,
Adieu printemps de l’âme où tout est pur comme elle,
Songes venus du ciel et compris à demi,
Songes dans l’amour seul retrouvés sur la terre,
Images du rayon qui passe avec mystère
Sur un front encore endormi!…
Fuyez-vous pour toujours, trésors de mon jeune âge,
Croyances du berceau que dédaigne le sage,
Sympathiques élans vers un astre éternel,
Vagues et doux regards jetés sur la nature,
Enfance! flot sacré d’une source assez pure
Pour réfléchir encore le ciel!
Eh bien! je te salue, enivrante jeunesse,
Glaive, lyre, ou pinceau, puissante enchanteresse,
Donne au prix du malheur, sans pitié ni merci!…
Non… Laisse à d’autres mains et l’épée et la toile,
Une lyre ici-bas, et là-haut une étoile,
Donne, jeunesse, et me voici!
Donne, mais laisse-moi cette foi du vulgaire
Qui m’a pris tout enfant sur le sein de ma mère…
Il faut aux mois d’été quelques fleurs du printemps,
Il faut au jour brûlant un reflet de l’aurore,
Il faut à la jeunesse, ardente et pure encore,
Un souvenir des premiers ans!
A vous donc tous mes chants, à vous toutes mes veilles,
Croyances qui peuplez d’ineffables merveilles
Et le ciel et la terre et les mondes sans fin!
Le ciel va m’égarer dans ses déserts sublimes,
Si votre voix puissante au penchant des abîmes
N’avertit pas le pèlerin.
Et la terre à son tour sera stérile et sombre,
Si je ne la sens pas frémir sous la grande ombre
Du Dieu qui l’enfanta de son souffle de feu ;
Si je n’entends gémir sous sa chaîne glacée
L’impie emprisonné dans sa propre pensée
Qui l’assiège du poids d’un Dieu.
Enseignez à mon cœur ces prières divines,
Douces comme la voix qui, du haut des collines,
Dans le parfum des fleurs monte au déclin du jour,
Et ne faites d’égal au passé qui s’efface
Que l’avenir riant qui vient prendre sa place
Avec l’espérance et l’amour.
Jusqu’au temps où les jours de mon adolescence,
Joignant dans le passé les heures de l’enfance,
Iront, d’un même essor, vers un monde plus pur,
Et, saluant la vie avec un doux sourire,
Dans un dernier adieu laisseront l’humble lyre
Aux froides mains de l’âge mûr.