Le songe

Quand autrefois dans cette arène,
Où tout mortel suit son chemin,
En coureur que la gloire entraîne,
Je m’élançais, l’âme sereine,
Un flambeau brillant à la main ;

Des Muses belliqueux élève,
Quand je rêvais nobles assauts,
Couronne et laurier, lyre et glaive,
Étendards poudreux qu’on enlève,
Baisers cueillis sous des berceaux ;

Partout vainqueur, amant, poète,
Pensais-je, hélas! que mon flambeau
Au lieu de triomphe et de fête,
N’éclairerait que ma défaite
Et mes ennuis jusqu’au tombeau?

La destinée à ma jeunesse
Semblait sourire avec amour ;
J’aimais la vie avec ivresse,
Ainsi qu’on aime une maîtresse
Avant la fin du premier jour.

Il a fui, mon rêve éphémère…
Tel, d’un sexe encore incertain,
Un bel enfant près de sa mère
Poursuit la flatteuse chimère
De son doux rêve du matin.

Tout s’éveille, et, lui, dort encore ;
Déjà pourtant il n’est plus nuit ;
L’aube blanchit devant l’Aurore ;
Sous l’œil du Dieu qui la dévore,
L’Aurore rougit et s’enfuit.

Il dort son sommeil d’innocence ;
Avec l’aube son front blanchit ;
Puis par degrés il se nuance
Avec l’Aurore qui s’avance
Et qui bientôt s’y réfléchit.

Un voile couvre sa prunelle
Et cache le ciel à ses yeux ;
Maison songe le lui révèle ;
En songe, son âme étincelle
Des rayons qui peignent les cieux.

Ô coule, coule, onde nouvelle,
Suis mollement ton cours vermeil!
Peux-tu jamais couler plus belle
Que sous la grotte maternelle,
Aux premiers rayons du soleil?

Que j’aime ce front sans nuage,
Qu’arrose un plus frais coloris!
Bel enfant, quel charmant présage
Parmi les fleurs de ton visage
Fait soudain éclore un souris?

Dans la vie encore ignorée
As-tu cru voir un bonheur pur?
Un ange te l’a-t-il montrée
Brillante, sereine, azurée,
À travers ses ailes d’azur?

Ou quelque bonne fée Urgèle,
Promettant palais et trésor
Au filleul mis sous sa tutelle,
Pour te promener t’aurait-elle
Ravi sur son nuage d’or?

Mais le soleil suit sa carrière,
Et voilà qu’un rayon lancé
De l’enfant perce la paupière ;
Ses yeux s’ouvrent à la lumière ;
Il pleure… le songe est passé!


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Verset Le songe - Charles-Augustin Sainte-Beuve