L’embarras des richesses

Nous te quittons, ô vieil abri de chaume,
Oui, mes enfants, rendez grâce à genoux ;
La faim n’est plus, nous avons un royaume ;
Un ciel plein d’or vient de s’ouvrir sur nous.
Nous, si joyeux quand jadis une obole
Brillait un jour au foyer indigent,
Nous héritons! la misère s’envole :
Merci, mon Dieu, merci, j’ai de l’argent!

– Ma fille, à toi des parfums, des dentelles,
Comme au château des parures de fleurs ;
Tous les plaisirs des heureuses mortelles ;
Les bals, les ris, au lieu de nos douleurs!
– A toi, mon fils, des coursiers et des fêtes!
– A nous, la paix loin de tout soin rongeant
Et le satin pour reposer nos têtes :
L’argent! l’argent! Dieu, qu’il est beau, l’argent!

Quoi! des palais c’est la toute la joie!
Vos yeux, enfants, perdent leurs doux éclairs.
Bien vite, hélas! aux jours filés de soie,
Un dieu jaloux mêla des jours amers.
Malheur! malheur! aurais-je fait méprise?
Et, sur les flots, pilote négligent,
Pris pour le port le roc où l’on se brise?…
L’écueil! mon Dieu, l’écueil, est-ce l’argent?

Reprends ton hôte, ô mon ancien asile,
Où des haillons m’ont protégé trente ans.
Des lits dorés le doux sommeil s’exile,
Reviens, misère, et rends-nous le printemps!
Loin des cités, mes enfants, je l’espère,
Luira sur nous un bonheur moins changeant ;
Oui, dans vos bras, serrez votre vieux père ;
Merci, mon Dieu, je ne veux plus d’argent.


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Verset L’embarras des richesses - Henri-Frédéric Amiel