Ma mère, quel beau jour! tout brille, tout rayonne.
Dans les airs, l’oiseau chante et l’insecte bourdonne ;
Les ruisseaux argentés roulent sur les cailloux,
Les fleurs donnent au ciel leur parfum le plus doux.
Le lis s’est entr’ouvert ; la goutte de rosée,
Sur les feuilles des bois par la nuit déposée,
S’enfuyant à l’aspect du soleil et du jour,
Chancelle et tombe enfin comme des pleurs d’amour.
Les fils blancs et légers de la vierge Marie,
Comme un voile d’argent, volent sur la prairie :
Frêle tissu, pour qui mon souffle est l’aquilon,
Et que brise en passant l’aile d’un papillon.
Sous le poids de ses fruits le grenadier se penche,
Dans l’air, un chant d’oiseau nous vient de chaque branche ;
Jusqu’au soir, dans les cieux, le soleil brillera :
Ce jour est un beau jour!… Oh! bien sûr, il viendra!
Il viendra… mais pourquoi?… Sait-il donc que je l’aime?
Sait-il que je l’attends, que chaque jour de même,
– Que ce jour soit celui d’hier ou d’aujourd’hui –
J’espère sa présence et ne songe qu’à lui?
Oh! non! il ne sait rien. Qu’aurait-il pu comprendre!…
Les battements du cœur se laissent-ils entendre?
Les yeux qu’on tient baissés, ont-ils donc un regard?
Un sourire, dit-il qu’on doit pleurer plus tard?
Que sait-on des pensers cachés au fond de l’âme!
La douleur qu’on chérit, le bonneur que l’on blâme,
Au bal, qui les trahit?… Des fleurs sont sur mon front,
À tout regard joyeux mon sourire répond ;
Je passe auprès de lui sans détourner la tête,
Sans ralentir mes pas…. et mon cœur seul s’arrête.
Mais qui peut voir le cœur? qu’il soit amour ou fiel,
C’est un livre fermé, qui ne s’ouvre qu’au ciel!
Une fleur est perdue, au loin, dans la prairie,
Mais son parfum trahit sa présence et sa vie ;
L’herbe cache une source, et le chêne un roseau,
Mais la fraîcheur des bois révèle le ruisseau ;
Le long balancement d’un flexible feuillage
Nous dit bien s’il reçoit ou la brise ou l’orage ;
Le feu qu’ont étouffé des cendres sans couleur,
Se cachant à nos yeux, se sent par la chaleur ;
Pour revoir le soleil quand s’enfuit l’hirondelle,
Le pays qu’elle ignore est deviné par elle :
Tout se laisse trahir par l’odeur ou le son,
Tout se laisse entrevoir par l’ombre ou le rayon,
Et moi seule, ici-bas, dans la foule perdue,
J’ai passé près de lui sans qu’il m’ait entendue…
Mon amour est sans voix, sans parfum, sans couleur,
Et nul pressentiment n’a fait battre son cœur!
Ma mère, c’en est fait! Le jour devient plus sombre ;
Aucun bruit, aucun pas, du soir ne trouble l’ombre.
Adieux à vous! – à vous, ingrat sans le savoir!
Vous, coupable des pleurs que vous ne pouvez voir!
Pour la dernière fois, mon Ame déchirée
Rêva votre présence, hélas! tant désirée…
Plus jamais je n’attends. L’amour et l’abandon,
Du cœur que vous brisez les pleurs et le pardon,
Vous ignorerez tout!… Ainsi pour nous, un ange.
Invisible gardien, dans ce monde où tout change.
S’attache à notre vie et vole à nos côtés ;
Sous son voile divin nous sommes abrités,
Et jamais, cependant, on ne voit l’aile blanche
Qui, sur nos fronts baissés, ou s’entrouvre ou se penche.
Dans les salons, au bal, sans cesse, chaque soir,
En dansant près de vous, il me faudra vous voir ;
Et cependant, adieu… comme à mon premier rêve!
Tous deux, à votre insu, dans ce jour qui s’achève,
Nous nous serons quittés! – Adieu, soyez heureux!…
Ma prière, pour vous, montera vers les Cieux :
Je leur demanderai qu’éloignant les orages,
Ils dirigent vos pas vers de riants rivages,
Que la brise jamais, devenant aquilon,
D’un nuage pour vous ne voile l’horizon ;
Que l’heure à votre gré semble rapide ou lente ;
Lorsque vous écoutez, que toujours l’oiseau chante ;
Lorsque vous regardez, que tout charme vos yeux,
Que le buisson soit vert, le soleil radieux ;
Que celle qui sera de votre cœur aimée,
Pour vous, d’un saint amour soit toujours animée!…
– Si parfois, étonné d’un aussi long bonheur,
Vous demandez à Dieu : » Mais pourquoi donc, Seigneur? »
Il répondra peut-être : » Un cœur pour toi me prie…
Et sa part de bonheur, il la donne à ta vie! «