Puisqu’ici-bas toute âme
Donne à quelqu’un
Sa musique, sa flamme,
Ou son parfum ;
Puisqu’ici toute chose
Donne toujours
Son épine ou sa rose
A ses amours ;
Puisqu’avril donne aux chênes
Un bruit charmant ;
Que la nuit donne aux peines
L’oubli dormant ;
Puisque l’air à la branche
Donne l’oiseau ;
Que l’aube à la pervenche
Donne un peu d’eau ;
Puisque, lorsqu’elle arrive
S’y reposer,
L’onde amère à la rive
Donne un baiser ;
Je te donne, à cette heure,
Penché sur toi,
La chose la meilleure
Que j’aie en moi!
Reçois donc ma pensée,
Triste d’ailleurs,
Qui, comme une rosée,
T’arrive en pleurs!
Reçois mes voeux sans nombre,
Ô mes amours!
Reçois la flamme ou l’ombre
De tous mes jours!
Mes transports pleins d’ivresses,
Purs de soupçons,
Et toutes les caresses
De mes chansons!
Mon esprit qui sans voile
Vogue au hasard,
Et qui n’a pour étoile
Que ton regard!
Ma muse, que les heures
Bercent rêvant,
Qui, pleurant quand tu pleures,
Pleure souvent!
Reçois, mon bien céleste,
Ô ma beauté,
Mon coeur, dont rien ne reste,
L’amour ôté!
Le 19 mai 1836.