Un jour aussi je voulus être Reine :
D’ambition quel cœur n’est entaché?
Je me suis fait un Empire caché,
Monde inconnu, hors a sa Souveraine :
Mon Trône, est humble et n’a rien d’éclatant ;
Mais nul péril aussi qu’on me le prenne :
Combien de Rois n’en diraient pas autant?
J’ai dans ma Cour, aux autres Cours pareilles,
Des ennemis qui se font mes flatteurs,
Les vanités et les rêves menteurs ;
Mais j’ai près d’eux un Conseiller qui veille.
Que je faillisse, il me tance à l’instant ;
Rien à sa voix n’interdit mon oreille!
Combien de Rois n’en diraient pas autant?
Ne croyez pas ma puissance exposée
A se briser dans ses vouloirs mouvants,
Comme un drapeau qui flotte au gré des vents ;
A son caprice une borne est posée.
Oui, j’obéis, non au joug qu’on me tend,
Mais à la Loi par moi-même imposée :
Combien de Rois n’en diraient pas autant?
J’ai mon Spectacle, et souvent s’y déploie
Un drame sombre, ou fantasque, ou riant ;
Chants d’Italie et luxe d’Orient,
Fleurs et parfums, murs d’or, tapis de soie :
Fête où jamais nul ennui ne m’attend,
Où nul Impôt n’a dû payer ma joie!…
Combien de Rois n’en diraient pas autant?
Qu’on ait vécu sous le marbre ou le chaume,
Au même but nous arrivons., hélas!
Rois et Sujets, il faut, plus ou moins las,
Tomber aux pieds de l’éternel fantôme.
Mais quels regrets me suivraient en partant,
Sûre, avec moi, d’emporter mon Royaume?
Est-il un Roi qui puisse en dire autant?