Dix ans se sont passés, dix ans! je l’ai revue
Grande, elle que jadis enfant j’avais connue,
Non plus vive et légère et souriant toujours,
Mais grave et qui semblait déjà compter les jours
Sa bouche avait encore cet éclat de l’enfance,
Mais ne souriait plus et gardait le silence.
Si mes yeux dans ses yeux osaient chercher son cœur,
Son front pur se voilait de grâce et de pudeur,
Et quand elle parlait, rougissante et naïve,
Elle achevait à peine et d’une voix craintive.
Sur moi, comme autrefois, s’est reposé son bras,
Et nous avons parlé, ralentissant nos pas,
Des chants de Rossini, des hymnes de Delphine,
Des femmes qu’emportait l’élégante berline,
De la mode d’hier déjà vieille à son tour,
Et de tout ce qui naît et s’efface en un jour.
Ah! dans ces entretiens si ma langue oppressée
En sons inachevés laissait fuir ma pensée,
Si je sentais s’éteindre et défaillir ma voix,
C’est que mon cœur alors était plein d’autrefois,
C’est que l’enfance seule est rieuse et légère,
Car seule elle n’a pas de passé sur la terre.