C’était durant les mois où le soir et l’aurore
Ont de si doux moments ;
Votre âme en vos regards ne faisait que d’éclore,
Vous n’aviez pas seize ans.
Un jour, parmi les fleurs vous étiez descendue,
Et je suivais de loin
Votre trace vingt fois retrouvée ou perdue,
Aux détours du jardin.
Vos deux mains, au hasard, couraient sur toutes choses,
Et par un long baiser
Vous aspiriez les pleurs que la nuit dans les roses
Venait de déposer.
Je vous vis tout-à-coup vous arrêter rêveuse,
Et votre front pâlir :
Sur vos chastes pensers, ô jeune moissonneuse,
Passait un souvenir.
Moi, je me rappelais ces filles de Messène
Qu’un soir Byron trouva
Des roses du printemps dépouillant une plaine,
Sous le fouet de l’Aga.
Elles chantaient ; parmi ces pauvres jeunes filles
Nulle ne demandait
Où s’en allaient ces fleurs que coupaient leurs faucilles
Et qu’un char attendait.
L’Ithôme les couvrait de son ombre immortelle,
Comme dans l’âge d’or ;
Le ciel était d’azur, l’air doux, la moisson belle,
Que fallait-il encore?
Une seule parfois vers la haute montagne
Levant ses yeux émus,
Songeait amèrement à sa jeune compagne
Qui ne moissonnait plus!…
Peut-être une âme errante à la vierge pensive
Disait-elle tout bas
Que le même destin loin de la douce rive
Enchaînerait ses pas,
Et qu’elle-même un jour pour des maîtres superbes
Brûlerait de ces fleurs
Que sur le sol natal ses mains liaient en gerbes
Les profanes senteurs.
Et j’ai cru te revoir, vierge de la prairie!…
Mais sous ce noble ciel
On ne moissonne plus les fleurs de la patrie
Que pour parer l’autel.