On les voit s’en venir en bandes,
À la prime aube, tout le long,
Le long des palus et des landes,
Glissant de-ci, de-là, selon
Leur humeur folâtre et changeante.
Et tout bleus dans le matin blond.
Ô les dunes que l’aube argenté!
Les genêts fleuris qu’un par un
Frôle leur aile diligente!
Et, là-bas, couchés dans l’embrun,
Sous leur fourrure d’algues lisses,
Les lourds rochers de granit brun!
C’est l’heure pleine de délices,
L’heure où s’épanche en larmes d’or
La rosée au fond des calices ;
Et c’est l’heure, plus douce encor,
Où le premier flot monte et lèche
Vos pieds blancs, grèves de l’Armor.
La brise du large est si fraîche!
Il fait si doux, si bon, là-bas
Où les courlis sont à la pêche!
Et voilà, sans autres débats,
Nos lutins partis en maraude
Du côté d’Erech ou de Batz.
Longtemps sur la mer d’émeraude,
Ainsi que des bleuets ailés,
Leur vol incertain tremble et rôde.
Mais ceux qu’une lame a frôlés
Sentent bientôt l’éclaboussure
Alourdir leurs corps fuselés.
Même au temps où juillet azuré
Ses remous et ses tourbillons,
La mer est changeante et peu sûre.
Déserteurs des calmes sillons,
Vous êtes pareils à mes rêves.
Papillons bleus, ô papillons!
Luise quelque aube aux clartés brèves
Penchant ses yeux meurtris et doux
Sur le glauque miroir des grèves,
C’est assez pour eux et pour vous :
Leur cavalcade trébuchante
Coupe l’infini de bonds fous.
Ils vont! Ils vont! La vague chante
Sous leur essor aventureux…
Papillons de la mer méchante,
J’ai peur pour vous, j’ai peur pour eux!