Élégie II.
C’en est donc fait! par des tyrans cruels,
Malgré ses pleurs à l’autel entraînée,
Elle a subi le joug de l’hyménée.
Elle a détruit par des nœuds solennels
Les nœuds secrets qui l’avaient enchaînée!
Et moi, longtemps exilé de ces lieux,
Pour adoucir cette absence cruelle,
Je me disais : Elle sera fidèle ;
J’en crois son cœur et ses derniers adieux.
Dans cet espoir, j’arrivais sans alarmes.
Je tressaillis, en arrêtant mes yeux
Sur le séjour qui cachait tant de charmes ;
Et le plaisir faisait couler mes larmes.
Je payais cher ce plaisir imposteur!
Prêt à voler aux pieds de mon amante,
Dans un billet tracé par l’inconstante
Je lis son crime, et je lis mon malheur.
Un coup de foudre eût été moins terrible.
Éléonore! ô dieux! est-il possible!
Il est donc fait et prononcé par toi
L’affreux serment de n’être plus à moi?
Eléonore autrefois si timide,
Éléonore aujourd’hui si perfide,
De tant de soins voilà donc le retour!
Voilà le prix d’un éternel amour!
Car ne crois pas que jamais je t’oublie :
Il n’est plus temps, je le voudrais en vain ;
Et malgré toi tu feras mon destin ;
Je te devrai le malheur de ma vie.
En avouant ta noire trahison,
Tu veux encor m’arracher ton pardon :
Pour l’obtenir, tu dis que mon absence
À tes tyrans te livra sans défense.
Ah! si les miens, abusant de leurs droits,
Avaient voulu me contraindre au parjure,
Et m’enchaîner sans consulter mon choix,
L’amour, plus saint, plus fort que la nature,
Aurait bravé leur injuste pouvoir ;
De la constance il m’eût fait un devoir.
Mais ta prière est un ordre suprême :
Trompé par toi, rejeté de tes bras,
Je te pardonne, et je ne me plains pas :
Puisse ton cœur te pardonner de même.