I
» Minuit! ma mère dort : je me suis relevée :
Je craignais de laisser ma lettre inachevée ;
J’ai voulu me hâter, car peut-être ma main
Ne sera-t-elle plus assez forte demain!
Tu connais mon malheur ; je t’ai dit que mon père
A voulu me dicter un choix, et qu’il espère
Sans doute me trouver trop faible pour oser
Refuser cet époux qu’il prétend m’imposer.
O toi qui m’appartiens! ô toi qui me fis naître
Au bonheur, à l’amour que tu m’as fait connaître ;
Toi qui sus le premier deviner le secret
Et trouver le chemin d’un cœur qui s’ignorait,
Crois-tu qu’à d’autres lois ton amante enchaînée
Méconnaisse jamais la foi qu’elle a donnée ;
Qu’elle puisse oublier ces rapides momens
Où nos voix ont ensemble échangé leurs sermens,
Où sa tremblante main a frémi dans la tienne,
Et qu’à d’autre qu’à toi jamais elle appartienne?
Tu veux fuir, m’as-tu dit : fuis ; mais n’espère pas
M’empêcher de te suivre attachée à tes pas!
Qu’importe où nous soyons si nous sommes ensemble ;
Est-il donc un désert si triste, qui ne semble
Plus riant qu’un palais, quand il est animé
Par l’aspect du bonheur et de l’objet aimé?
Et que me font à moi tous ces biens qui m’attendent?
Lorsqu’on s’est dit : je t’aime! et que les cœurs s’entendent,
Que sont tous les trésors, qu’est l’univers pour eux.
Et que demandent-ils de plus pour être heureux?
Mais comment fuir? comment tromper la vigilance
D’un père soupçonneux qui m’épie en silence?
Je m’abusais! Eh bien, écoute le serment
Que te jure ma bouche en cet affreux moment :
Puisqu’on l’a résolu, puisqu’on me sacrifie.
Puisqu’on veut mon malheur, eh bien! je les défie :
Ils ne m’auront que morte, et je n’aurai laissé
Pour traîner à l’autel qu’un cadavre glacé! «
II
Lorsque je l’ai revue, elle était mariée
Depuis cinq ans passés : » Ah! s’est-elle écriée,
C’est vous! bien vous a pris d’être venu nous voir :
Mais où donc étiez-vous? Et ne peut-on savoir
Pourquoi, depuis un siècle, éloigné de la France,
Vous nous avez ainsi laissés dans l’ignorance?
Quant à nous, tout va bien : le sort nous a souri.
– J’ai parlé bien souvent de vous à mon mari ;
C’est un homme d’honneur, que j’aime et je révère,
Sage négociant, de probité sévère,
Qui par son zèle actif chaque jour agrandit
L’essor de son commerce, et double son crédit :
Et puisque le hasard à la fin nous rassemble ;
Je vous présenterai, vous causerez ensemble ;
Il vous recevra bien, empressé de saisir
Pareille occasion de me faire plaisir.
Vous verrez mes enfans : j’en ai trois. Mon aînée
Est chez mes belles-sœurs, qui me l’ont emmenée ;
Je l’attends samedi matin : vous la verrez.
Oh, c’est qu’elle est charmante! ensuite, vous saurez
Qu’elle lit couramment, écrit même, et commence
A jouer la sonate et chanter la romance.
Et mon fils! il aura ses trois ans et demi
Le vingt du mois prochain ; du reste, mon ami,
Vous verrez comme il est grand et fort pour son âge ;
C’est le plus bel enfant de tout le voisinage.
Et puis, j’ai mon petit. – Je ne l’ai pas nourri :
Mes couches ont été pénibles ; mon mari,
Qui craignait pour mon lait, a voulu que je prisse
Sur moi de le laisser aux mains d’une nourrice.
Mais de cet embarras je vais me délivrer,
Et le docteur a dit qu’on pouvait le sevrer.
– Ainsi dans mes enfans, dans un époux qui m’aime,
J’ai trouvé le bonheur domestique ; et vous même,
Vous dépendez de vous, j’imagine, et partant
Qui peut vous empêcher d’en faire un jour autant?
Je sais qu’en pareil cas le choix est difficile.
Que vous avez parfois une humeur indocile ;
Mais on peut réussir, et vous réussirez :
Vous prendrez une femme, et nous l’amènerez,
Elle viendra passer l’été dans notre terre :
Jusque-là toutefois, libre et célibataire,
Pensez à vos amis, et venez en garçon
Nous demander dimanche à dîner sans façon. «