Je n’eus jamais d’indifférence
Pour la gloire du nom français.
L’étranger envahit la France,
Et je maudis tous ses succès.
Mais, bien que la douleur honore,
Que servira d’avoir gémi?
Puisqu’ici nous rions encore,
Autant de pris sur l’ennemi!
Quand plus d’un brave aujourd’hui tremble,
Moi, poltron, je ne tremble pas.
Heureux que Bacchus nous rassemble
Pour trinquer à ce gai repas!
Amis, c’est le dieu que j’implore ;
Par lui mon cœur est affermi.
Buvons gaîment, buvons encore :
Autant de pris sur l’ennemi!
Mes créanciers sont des corsaires
Contre moi toujours soulevés.
J’allais mettre ordre à mes affaires,
Quand j’appris ce que vous savez.
Gens que l’avarice dévore,
Pour votre or soudain j’ai frémi.
Prêtez-m’en donc, prêtez encore :
Autant de pris sur l’ennemi!
Je possède jeune maîtresse,
Qui va courir bien des dangers.
Au fond, je crois que la traîtresse
Désire un peu les étrangers.
Certains excès que l’on déplore
Ne l’épouvantent qu’à demi.
Mais cette nuit me reste encore :
Autant de pris sur l’ennemi!
Amis, s’il n’est plus d’espérance,
Jurons, au risque du trépas,
Que pour l’ennemi de la France
Nos voix ne résonneront pas.
Mais il ne faut pas qu’on ignore
Qu’en chantant le cygne a fini.
Toujours Français, chantons encore
Autant de pris sur l’ennemi!
Chanson écrite en janvier 1811.