À Jeanne (I)

Je ne te cache pas que j’aime aussi les bêtes ;
Cela t’amuse et moi cela m’instruit ; je sens
Que ce n’est pas pour rien qu’en ces farouches têtes
Dieu met le clair-obscur des grands bois frémissants.

Je suis le curieux qui, né pour croire et plaindre,
Sonde, en voyant l’aspic sous des roses rampant,
Les sombres lois qui font que la femme doit craindre
Le démon, quand la fleur n’a pas peur du serpent.

Pendant que nous donnons des ordres à la terre,
Rois copiant le singe et par lui copiés,
Doutant s’il est notre œuvre ou s’il est notre père,
Tout en bas, dans l’horreur fatale, sous nos pieds,

On ne sait quel noir monde étonné nous regarde
Et songe, et sous un joug, trop souvent odieux,
Nous courbons l’humble monstre et la brute hagarde
Qui, nous voyant démons, nous prennent pour des dieux.

Oh! que d’étranges lois! quel tragique mélange!
Voit-on le dernier fait, sait-on le dernier mot,
Quel spectre peut sortir de Vénus, et quel ange
Peut naître dans le ventre affreux de Béhémoth?

Transfiguration! mystère! gouffre et cime!
L’âme rejettera le corps, sombre haillon ;
La créature abjecte un jour sera sublime,
L’être qu’on hait chenille on l’aime papillon.


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Verset À Jeanne (I) - Victor Hugo