VI.
Comme une aumône, enfant, donne donc ta prière
À ton père, à ta mère, aux pères de ton père ;
Donne au riche à qui Dieu refuse le bonheur,
Donne au pauvre, à la veuve, au crime, au vice immonde.
Fais en priant le tour des misères du monde ;
Donne à tous! donne aux morts! – Enfin donne au Seigneur!
» Quoi! murmure ta voix qui veut parler et n’ose.
Au Seigneur, au Très-Haut manque-t-il quelque chose?
Il est le saint des saints, il est le roi des rois!
Il se fait des soleils un cortège suprême!
Il fait baisser la voix à l’océan lui-même!
Il est seul! Il est tout! à jamais! à la fois!
» Enfant, quand tout le jour vous avez en famille,
Tes deux frères et toi, joué sous la charmille,
Le soir vous êtes las, vos membres sont pliés,
Il vous faut un lait pur et quelques noix frugales,
Et, baisant tour à tour vos têtes inégales,
Votre mère à genoux lave vos faibles pieds.
Eh bien! il est quelqu’un dans ce monde où nous sommes
Qui tout le jour aussi marche parmi les hommes,
Servant et consolant, à toute heure, en tout lieu,
Un bon pasteur qui suite sa brebis égarée,
Un pèlerin qui va de contrée en contrée.
Ce passant, ce pasteur, ce pèlerin, c’est Dieu!
Le soir il est bien las! il faut, pour qu’il sourie,
Une âme qui le serve, un enfant qui le prie,
Un peu d’amour! Ô toi, qui ne sais pas tromper,
Porte-lui ton coeur plein d’innocence et d’extase,
Tremblante et l’oeil baissé, comme un précieux vase
Dont on craint de laisser une goutte échapper!
Porte-lui ta prière! et quand, à quelque flamme
Qui d’une chaleur douce emplira ta jeune âme,
Tu verras qu’il est proche, alors, ô mon bonheur,
Ô mon enfant! sans craindre affront ni raillerie,
Verse, comme autrefois Marthe, soeur de Marie,
Verse tout ton parfum sur les pieds du Seigneur!
Mai 1830.