Nox (III)

III.

Donc cet homme s’est dit :  » Le maître des armées,
L’empereur surhumain
Devant qui, gorge au vent, pieds nus, les renommées
Volaient, clairons en main,

 » Napoléon, quinze ans régna dans les tempêtes
Du sud à l’aquilon.
Tous les rois l’adoraient, lui, marchant sur leurs têtes,
Eux, baisant son talon ;

 » Il prit, embrassant tout dans sa vaste espérance,
Madrid, Berlin, Moscou ;
Je ferai mieux ; je vais enfoncer à la France
Mes ongles dans le cou!

 » La France libre et fière et chantant la concorde
Marche à son but sacré ;
Moi, je vais lui jeter par derrière une corde
Et je l’étranglerai.

 » Nous nous partagerons, mon oncle et moi, l’histoire
Le plus intelligent,
C’est moi, certes! il aura la fanfare de gloire,
J’aurai le sac d’argent.

 » Je me sers de son nom, splendide et vain tapage,
Tombé dans mon berceau.
Le nain grimpe au géant. Je lui laisse sa page,
Mais j’en prends le verso.

 » Je me cramponne à lui. C’est moi qui suis son maître.
J’ai pour sort et pour loi
De surnager sur lui dans l’histoire, ou peut-être
De l’engloutir sous moi.

 » Moi, chat-huant, je prends cet aigle dans ma serre.
Moi si bas, lui si haut,
Je le tiens! je choisis son grand anniversaire,
C’est le jour qu’il me faut.

 » Ce jour-là, je serai comme un homme qui monte
Le manteau sur ses yeux ;
Nul ne se doutera que j’apporte la honte
A ce jour glorieux ;

 » J’irai plus aisément saisir mon ennemie
Dans mes poings meurtriers
La France ce jour-là sera mieux endormie
Sur son lit de lauriers. « 

Alors il vint, cassé de débauches, l’oeil terne,
Furtif, les traits pâlis,
Et ce voleur de nuit alluma sa lanterne
Au soleil d’Austerlitz!

Du 16 au 22 novembre 1852, à Jersey


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Verset Nox (III) - Victor Hugo