À mes amis S.-B. et L. B

Buen viage!
GOYA.

Amis, mes deux amis, mon peintre, mon poète!
Vous me manquez toujours, et mon âme inquiète
Vous redemande ici.
Des deux amis, si chers à ma lyre engourdie,
Pas un ne m’est resté. Je t’en veux, Normandie,
De me les prendre ainsi!

Ils emportent en eux toute ma poésie ;
L’un, avec son doux luth de miel et d’ambroisie,
L’autre avec ses pinceaux.
Peinture et poésie où s’abreuvait ma muse,
Adieu votre onde!
Adieu l’Alphée et l’Aréthuse
Dont je mêlais les eaux!

Adieu surtout ces coeurs et ces âmes si hautes,
Dont toujours j’ai trouvé pour mes maux et mes fautes
Si tendre la pitié!
Adieu toute la joie à leur commerce unie!
Car tous deux, ô douceur! si divers de génie,
Ont la même amitié!

Je crois d’ici les voir, le poète et le peintre.
Ils s’en vont, raisonnant de l’ogive et du cintre
Devant un vieux portail ;
Ou, soudain, à loisir, changeant de fantaisie,
Poursuivent un oeil noir dessous la jalousie,
À travers l’éventail.

Oh! de la jeune fille et du vieux monastère,
Toi, peins-nous la beauté, toi, dis-nous le mystère.
Charmez-nous tour à tour.
À travers le blanc voile et la muraille grise
Votre oeil, ô mes amis, sait voir Dieu dans l’église,
Dans la femme l’amour!

Marchez, frères jumeaux, l’artiste avec l’apôtre!
L’un nous peint l’univers que nous explique l’autre ;
Car, pour notre bonheur,
Chacun de vous sur terre a sa part qu’il réclame.
À toi, peintre, le monde! à toi, poète, l’âme!
À tous deux le Seigneur!

Mai 1830.


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Verset À mes amis S.-B. et L. B - Victor Hugo