La sœur.
Qu’avez-vous, qu’avez-vous, mes frères?
Vous baissez des fronts soucieux.
Comme des lampes funéraires,
Vos regards brillent dans vos yeux.
Vos ceintures sont déchirées.
Déjà trois fois, hors de l’étui,
Sous vos doigts, à demi tirées,
Les lames des poignards ont lui.
Le frère ainé.
N’avez-vous pas levé votre voile aujourd’hui?
La sœur.
Je revenais du bain, mes frères,
Seigneurs, du bain je revenais,
Cachée aux regards téméraires
Des giaours et des albanais.
En passant près de la mosquée
Dans mon palanquin recouvert,
L’air de midi m’a suffoquée :
Mon voile un instant s’est ouvert.
Le second frère.
Un homme alors passait? un homme en caftan vert?
La sœur.
Oui… peut-être… mais son audace
N’a point vu mes traits dévoilés…
Mais vous vous parlez à voix basse,
A voix basse vous vous parlez.
Vous faut-il du sang? Sur votre âme,
Mes frères, il n’a pu me voir.
Grâce! tuerez-vous une femme,
Faible et nue en votre pouvoir?
Le troisième frère.
Le soleil était rouge à son coucher ce soir.
La sœur.
Grâce! qu’ai-je fait? Grâce! grâce!
Dieu! quatre poignards dans mon flanc!
Ah! par vos genoux que j’embrasse…
Ô mon voile! ô mon voile blanc!
Ne fuyez pas mes mains qui saignent,
Mes frères, soutenez mes pas!
Car sur mes regards qui s’éteignent
S’étend un voile de trépas.
Le quatrième frère.
C’en est un que du moins tu ne lèveras pas!
Le 1er septembre 1828.