C’en est fait, j’ai brisé mes chaînes.
Amis, je reviens dans vos bras.
Les belles ne vous valent pas ;
Leurs faveurs coûtent trop de peines.
Jouet de leur volage humeur,
J’ai rougi de ma dépendance :
Je reprends mon indifférence,
Et je retrouve le bonheur.
Le dieu joufflu de la vendange
Va m’inspirer d’autres chansons ;
C’est le seul plaisir sans mélange ;
Il est de toutes les saisons ;
Lui seul nous console et nous venge
Des maîtresses que nous perdons.
Que dis-je, malheureux! ah! qu’il est difficile
De feindre la gaîté dans le sein des douleurs!
La bouche sourit mal quand les yeux sont en pleurs.
Repoussons loin de nous ce nectar inutile.
Et toi, tendre Amitié, plaisir pur et divin,
Non, tu ne suffis plus à mon âme égarée,
Au cri des passions qui grondent dans mon sein
En vain tu veux mêler ta voix douce et sacrée :
Tu gémis de mes maux qu’il fallait prévenir ;
Tu m’offres ton appui lorsque la chute est faite ;
Et tu sondes ma plaie au lieu de la guérir.
Va, ne m’apporte plus ta prudence inquiète :
Laisse-moi m’étourdir sur la réalité ;
Laisse-moi m’enfoncer dans le sein des chimères,
Tout courbé sous les fers chanter la liberté,
Saisir avec transport des ombres passagères,
Et parler de félicité
En versant des larmes amères.
Ils viendront ces paisibles jours,
Ces moments du réveil, où la raison sévère
Dans la nuit des erreurs fait briller sa lumière,
Et dissipe à nos yeux le songe des Amours.
Le Temps, qui d’une aile légère
Emporte en se jouant nos goûts et nos penchants,
Mettra bientôt le terme à mes égarements.
Ô mes amis! alors échappé de ses chaînes,
Et guéri de ses longues peines,
Ce cœur qui vous trahit revolera vers vous.
Sur votre expérience appuyant ma faiblesse,
Peut-être je pourrai d’une folle tendresse
Prévenir les retours jaloux,
Sur les plaisirs de mon aurore
Vous me verrez tourner des yeux mouillés de pleurs,
Soupirer malgré moi, rougir de mes erreurs,
Et, même en rougissant, les regretter encore.