Tombez, larmes silencieuses,
Sur une terre sans pitié ;
Non plus entre des mains pieuses,
Ni sur le sein de l’amitié!
Tombez comme une aride pluie
Qui rejaillit sur le rocher,
Que nul rayon du ciel n’essuie,
Que nul souffle ne vient sécher.
Qu’importe à ces hommes mes frères
Le coeur brisé d’un malheureux?
Trop au-dessus de mes misères,
Mon infortune est si loin d’eux!
Jamais sans doute aucunes larmes
N’obscurciront pour eux le ciel ;
Leur avenir n’a point d’alarmes,
Leur coupe n’aura point de fiel.
Jamais cette foule frivole
Qui passe en riant devant moi
N’aura besoin qu’une parole
Lui dise: » Je pleure avec toi! «
Eh bien! ne cherchons plus sans cesse
La vaine pitié des humains ;
Nourrissons-nous de ma tristesse,
Et cachons mon front dans mes mains.
À l’heure où l’âme solitaire
S’enveloppe d’un crêpe noir,
Et n’attend plus rien de la terre,
Veuve de son dernier espoir ;
Lorsque l’amitié qui l’oublie
Se détourne de son chemin,
Que son dernier bâton, qui plie,
Se brise et déchire sa main ;
Quand l’homme faible, et qui redoute
La contagion du malheur,
Nous laisse seul sur notre route
Face à face avec la douleur ;
Quand l’avenir n’a plus de charmes
Qui fassent désirer demain,
Et que l’amertume des larmes
Est le seul goût de notre pain ;
C’est alors que ta voix s’élève
Dans le silence de mon coeur,
Et que ta main, mon Dieu! soulève
Le poids glacé de ma douleur.
On sent que ta tendre parole
À d’autres ne peut se mêler,
Seigneur! et qu’elle ne console
Que ceux qu’on n’a pu consoler.
Ton bras céleste nous attire
Comme un ami contre son coeur,
Le monde, qui nous voit sourire,
Se dit : » D’où leur vient ce bonheur? «
Et l’âme se fond en prière
Et s’entretient avec les cieux,
Et les larmes de la paupière
Sèchent d’elles-même à nos yeux,
Comme un rayon d’hiver essuie,
Sur la branche ou sur le rocher,
La dernière goutte de pluie
Qu’aucune ombre n’a pu sécher.